Vodunaut
Emo de Medeiros
Exposition solo
Commissaire d'exposition : Didier Houénoudé
"Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct face à un Occident distinct, et appréciant d’une tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu’il faut que je lui laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux." Cette appartenance multiple de Samba Diallo dans l’Aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane pourrait bien être la nôtre, celle de l’homme d’aujourd’hui dont les repères identitaires ne sont plus figés, ne sont plus là où il faut les attendre.
Cet homme des temps nouveaux se lance résolument et sans peur aucune à la conquête du futur, d’un futur qui est déjà à portée de main. La marche vers ce futur est si semblable à la conquête spatiale des premiers cosmonautes. Et les pionniers de notre âge (ère) ne sont plus juste une élite ou quelques personnes, mais l’ensemble des êtres humains. Chacun d’entre eux est le nouvel Iouri Gargarine, le nouveau Neil Armstrong. Comme ce dernier, nous avons foulé le nouveau continent, celui du futur.
L’avant-garde de cette « migration » de l’humanité vers ce monde neuf est on s’en doute, assurée par les pionniers que sont les artistes. Emo de Medeiros est de ceux-là. Il a décidé d’arpenter la voie du futur en emportant avec lui les éléments parmi les plus prégnants de la culture du Bénin méridional : le vodun. Peu importe le vocable qu’on lui donne dans d’autres parties du pays ou dans d’autres endroits du monde, le vodun renvoie aux deux principes parmi les plus anciens, les plus immuables et les plus perdurables de l’univers : la vie et la mort.
Les êtres fantastiques, les dieux qui peuplent le monde vodun nous rappellent ô combien nous sommes…immortels ! La conquête du ciel tout comme celle du futur est peut être l’un des buts ultimes de l’humanité. Il n’est pas donc étonnant que depuis les temps mythologiques de nombreux hommes l’aient tenté. L’échec d’Icare ne signifie pas que notre quête vers l’ailleurs est vaine, mais qu’elle mérite simplement plus d’efforts et de sacrifices, plus de foi en ce que nous sommes. Prométhée nous a ouvert la voie. Des artistes comme Emo de Medeiros lui emboitent le pas. L’artiste prend cependant le soin de nous munir de moyens de protection adéquats afin de nous éviter le sort tragique connu par Icare.
Les casques nous protègent des accidents de toutes sortes ; ils nous permettent de respirer et de nous adapter à l’environnement éventuellement hostile de l’espace et du futur. Les casques nous transforment et font de nous des cyborgs. En ce sens les lois de la robotique formulées par Isaac Asimov pourraient être revues comme suit :
1. L’homme du futur ne peut porter atteinte à son semblable, ni, en restant passif, permettre que son semblable soit exposé au danger.
2. L’homme du futur doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première loi.
Les cyborgs que nous sommes devenus ne sont pas pour autant dépourvus d’humanité, car Emo y a veillé. Les casques sont marqués du signe du vodun. Et grâce à cette marque notre humanité reste intacte, elle s’enrichit même face à notre métamorphose. Nous devenons ainsi des "vodunaut », des êtres fantastiques, immortels, mais également si humains, les dieux des temps nouveaux.
Le vodunaut est aussi la réponse de l’Afrique à la conquête du monde. Ce pionnier aura marqué le continent américain et les Caraïbes avec des éléments qui subsistent encore dans le vaudou haïtien ou le candomblé brésilien. Encore une appartenance dont pourrait se réclamer l’artiste.
Le Vodun est une réalité dans laquelle sont présents tous les éléments du cosmos : le ciel, la terre, l’eau, l’air, le feu. Le vodunaut est enfin le nouvel être transmuté par la pierre philosophale de l’alchimiste. Cette pierre de la transmutation prend l’allure de cauris chez Emo de Medeiros.
Des siècles durant, les cauris ont ouvert la voie de la destinée et de la divination aux peuples africains. Sur le plan symbolique, les cauris sont fréquemment mis en relation avec le principe féminin : leur forme étant associée à celle du sexe de la femme, les cauris sont souvent utilisés lors de rituels de la fécondité ou bien de magie défensive. Une voyance par les Cauris a cette particularité si rare de ne pas simplement fournir des prédictions sur les évènements à venir, mais également de donner des informations sur la façon dont la personne va y réagir et doit y faire face.
La peur de l’inconnu qui auparavant se dressait comme un obstacle sur le chemin a fait désormais place au désir impérieux de découvrir l’ultime facette de notre être. Cependant, Cheikh Hamidou Kane nous met en garde au cours de notre quête. "Il arrive, selon lui, que nous soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par notre aventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre cheminement, nous n'avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà devenus autres. Quelquefois, la métamorphose ne s'achève même pas, elle nous installe dans l'hybride et nous y laisse". Pour celui qui sait vraiment d’où il est issu, l’aventure aussi ambigüe qu’elle puisse être, ne l’abime pas. Il sait garder son humanité tout le long du processus d’hybridation.
Enfin, il n’y a pas à s’inquiéter car le vodunaut ouvre la voie à l’humanité, et dans ses pas marche l’Homo Futurus. L’homme nouveau que nous sommes devenus est un être hybride qui peut et qui doit se réclamer de plusieurs appartenances. Il est d’ici et d’ailleurs il est à la fois moi et cet autrui qui me pénètre et me détermine selon la pensée existentialiste sartrienne. Le « Je est un autre » d’Arthur Rimbaud est la promesse d’une société nouvelle dans laquelle nos différences et nos multiples appartenances deviennent le plus grand pouvoir de l’humanité : l’espoir.
Didier HOUENOUDE
Historien de l’art
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